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Interview: Tommy D’Hose (ILVO) - Le pâturage permanent peut séquestrer autant de carbone sous les sols que les forêts.

Les producteurs laitiers peuvent contribuer à résoudre les problèmes climatiques. En effet, le pâturage permanent permet de stocker du carbone dans le sol et les vaches peuvent convertir cette herbe que l’homme ne peut digérer en protéines de haute valeur nutritionnelle, à savoir du lait. Tommy D’Hose, chercheur en stockage du carbone dans le sol, en qualité du sol et en compactage du sol à l’ILVO (l’institut flamand de recherche pour l’agriculture, la pêche et l’alimentation) explique comment cela est possible.

Interview: Tommy D’Hose (ILVO) - Le pâturage permanent peut séquestrer autant de carbone sous les sols que les forêts.

En Flandre, un tiers de la superficie agricole est composée de prairies

L’Union européenne définit les pâturages permanents comme ‘des terres consacrées à la production d’herbes et d’autres plantes fourragères herbacées (ensemencées ou naturelles) qui ne font pas partie du système de rotation des cultures de l’exploitation depuis cinq ans ou davantage’. En résumé: une parcelle qui fait l’objet d’une culture herbacée depuis 5 ans ou plus, qu’elle soit retournée (renouvelée) ou ensemencée, est qualifiée de pâturage permanent. Environ 30% de la superficie agricole flamande est composée de prairies. En 2018, environ 235.000 ha de prairies ont été déclarés. Chaque année, environ 0,5 à 1% de prairies disparaissent, essentiellement pour faire place à des habitations ou de nouveaux terrains industriels.

 

 

"Le caractère permanent des prairies est essentiel"

 

 

Le déstockage du carbone dans le sol est plus rapide que le stockage

Les pâturages permanents peuvent parfaitement séquestrer le carbone. Tommy D’Hose: “Les prairies possèdent même un potentiel aussi important que les forêts pour stocker le carbone dans le sol! Les prairies séquestrent chaque année de 0,5 à 1 tonne de carbone par ha. Mais en cas de conversion des prairies en terres arables, la ré-accumulation de carbone par la culture est deux fois plus lente que la perte de carbone consécutive au retournement de la prairie. Cette conversion engendre un déstockage de 1 à 2 tonnes par ha du carbone préalablement stocké. On entend souvent dire que ‘le déstockage du carbone dans le sol est plus rapide que le stockage…’ C’est la raison pour laquelle le caractère permanent des prairies est si essentiel.”

Comment se fait-il que les prairies séquestrent aussi bien le carbone? “Cela s’explique essentiellement par l’apport constant de matière organique sous forme de racines, d’exsudats racinaires et de restes d’herbe et par l’absence de travaux intensifs du sol, d’où une dégradation moins rapide de la matière organique.”

 

Du CO2 au nutriment

Les plantes puisent du CO2 dans l’atmosphère par le biais de la photosynthèse et le carbone est incorporé à la tige, à la racine et aux feuilles. Si cette végétation demeure dans le sol (résidus d’herbe ou débris racinaires) ou retourne au sol via l’apport d’engrais animal, les organismes du sol la dégradent et une partie est fixée dans le sol agricole sous forme de carbone organique stable. 

Le stockage d’une tonne de carbone stable dans le sol permet de séquestrer près de 4 tonnes de CO2 atmosphérique. Mais il faut savoir que chaque année les organismes du sol dégradent à nouveau une partie de cette substance organique stable dans le sol et la libèrent partiellement sous forme de nutriments pour les plantes. Si on veut augmenter la quantité de carbone stockée dans le sol, il faudra donc apporter une quantité de carbone stable supérieure à celle qui est dégradée chaque année. C’est la seule manière de soustraire une quantité nette plus importante de CO2 atmosphérique.

 

Maintien de la biodiversité

Les prairies jouent aussi un rôle important dans le maintien de la biodiversité. Tommy D’Hose: “Il ressort d’une étude de l’université de Wageningen que 20% de la biodiversité initiale est maintenue sur une prairie exploitée intensivement contre 5 à 10% seulement sur une terre cultivée. La biodiversité est donc deux fois plus élevée sur les prairies que sur une terre cultivée.  
En outre, les prairies ont une capacité élevée de stockage de l’eau, elles créent des zones tampons contre les inondations. C’est un atout non négligeable quand on sait que nous serons confrontés à l’avenir à des périodes de précipitations de plus en plus intenses. Les prairies sont recouvertes toute l’année, tandis que le revêtement des sols des terres arables est réduit durant de longues périodes, notamment après les semis de printemps.”

 

 

“La biodiversité est deux fois plus élevée sur les prairies que sur les terres cultivées”

 

 

De la nécessité de valoriser les prairies

Il n’existe pas encore de réseau de monitoring du carbone en Flandre et nous ignorons donc quelle est la quantité exacte de carbone stockée dans le sol des prairies et quel est le potentiel subsistant. D’Hose: “C’est exact. Il ressort aussi de la dernière publication du Service pédologique de Belgique  (Tits et al. 2016) que la teneur en carbone de 55% des parcelles de prairies échantillonnées en Flandre se situe en dessous de  la valeur cible, ce qui indique qu’il existe un gros potentiel de stockage du carbone sous les prairies en Flandre également. Mais il y a des obstacles à surmonter. C’est ainsi que certains agriculteurs ne sont pas favorables aux ‘prairies permanentes’. Les mesures liées à ce statut ne sont pas assez souples, ce qui amène certains agriculteurs à retourner leur prairie après 4 ans. Le législateur devrait davantage valoriser les prairies en raison de leur capacité à stocker le carbone et à maintenir la biodiversité. En outre, de petites avancées peuvent être également obtenues via la gestion des prairies. Il est important de trouver le bon compromis entre deux modes de gestion du pâturage et de la fauche. Une gestion trop intensive épuise trop l’herbe, ce qui réduit la capacité de l’herbe à fixer le carbone dans les racines et les chaumes. Une gestion trop extensive peut générer une minéralisation accélérée du carbone suite à un manque de nutriments. Une gestion intermédiaire est dès lors privilégiée pour une accumulation optimale du carbone sous les prairies.”